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Capitol

Chandigarh, Inde, 1950 - 1965

  • Capitol, Chandigarh
    © FLC/ADAGP
Capitol, Chandigarh
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INFOS PRATIQUES

Projet non réalisé

Chandigarh. La naissance de la nouvelle capitale du Punjab (Indes).

L’été 1950, une lettre arrivait 35, rue de Sèvres, adressée par le Gouvernement du Punjab et signalant qu’une mission allait se rendre en Europe pour y engager deux architectes chargés de conduire les travaux de construction de la nouvelle capitale du Punjab. En automne, cette mission arrivait à Paris, formée de M. Thapar, administrateur d’État, et de M. Varma, ingénieur en chef du Punjab. Le Corbusier leur répondait sans modestie: « Votre capitale peut être construite ici; nous sommes tous, 35, rue de Sèvres, aptes à assurer la solution de ce problème. » Les missionnaires s’en allèrent à travers la Belgique, la Hollande, l’Allemagne et l’Angleterre. Ils revinrent à Paris. Ils signèrent alors un contrat avec Le Corbusier, l’engageant comme conseiller pour la construction de la capitale nouvelle du Punjab. Celui-ci devenait conseiller du Gouvernement avec missions multiples : les mises au point urbanistiques, les plans de la ville, la répartition des quartiers, le style des édifices, la nature des habitations, la nature des palais. A côté de lui furent engagés trois architectes, Maxwell Fry et Jane Drew à Londres, membres des CIAM, et Pierre Jeanneret à Paris, l’ancien associé de Le Corbusier, pour diriger pendant trois années, et sur place, les ateliers de dessin qui seraient créés au Punjab. A l’exception de Jane Drew qui arriva trois mois après, tout le monde se trouvait réuni en février 1951 au pied de l’Himalaya sur le vaste plateau paysagiste choisi pour recevoir la capitale, situé entre deux grands fleuves (ces grands fleuves sont à sec pendant dix mois de l’année) et là, sans tarder, le travail était commencé et allait développer ses effets avec une rapidité extraordinaire.

Le territoire consacré à la nouvelle capitale du Punjab qui abritera 500.000 habitants, mais dont la première tranche de 150.000 habitants est en construction maintenant, est alimenté par un réseau circulatoire indiscutable; les expériences de « Marseille-Sud » et de Bogota trouvent ici une application dans la pureté la plus totale. Car le terrain est sans aucun obstacle naturel et sa propriété est entre les mains de l’État qui la transférera aux particuliers selon les dispositions mêmes du plan. Cette grande liberté était même périlleuse, car il n’est rien de plus agréable pour beaucoup de gens que de porter des œillères. Chandigarh est le nom de la capitale emprunté à celui du village le plus proche. Chandigarh est une capitale politique. Son objet principal est donc la construction du « Capitole », c’est-à-dire du lieu où se trouvent rassemblés le Parlement, les Ministères, la Haute Cour et le Palais du Gouverneur. La ville doit offrir aux habitants toutes les ressources de l’urbanisme d’aujourd’hui. Aussi le désordre sera-t-il banni. Mais aussi sera bannie la différenciation brutale et hostile des classes. Le plan adopté a permis de constituer une espèce de bouquet social réalisant un contact fraternel. Selon la théorie des 7 V, la V 1, route nationale, vient de Delhi et, de l’autre côté, de Simla, allant par ailleurs rejoindre horizontalement la ville de Lahore, ancienne capitale du Punjab, demeurée attachée au Pakistan.

La V2, tracé municipal de grand caractère, pénètre dans la ville de droite à gauche, depuis la station de chemin de fer et la route de Delhi-Simla, jusqu’au grand axe vertical de la ville. Son premier tronçon, celui de la station, est bordé des organisations commerciales en affaire avec la région avoisinante rassemblées en marchés du fer, du bois, de machines agricoles, de l’auto, etc…., tandis que, après la traversée de l’axe vertical conduisant au Capitole, son second tronçon se transforme en avenue des Musées et de l’Université, desservant les lieux d’éducation générale, ainsi que le stade, etc…. Verticalement, du bas en haut de la ville, une seconde V 2 monte au Capitole où elle atteint les quatre édifices principaux déjà énoncés. Cette avenue d’une très grande largeur, cent mètres, est d’un profil très étudié. A mi-chemin elle alimente le centre des affaires (City-Centre) au-dessous duquel elle se coude brutalement pour aboutir en bas de la ville de 150.000 habitants au premier boulevard extérieur de limite actuelle qui constituera, dans l’avenir, une seconde grande V 2 de la ville de 500.000 habitants. A cet endroit se trouvent les Halles, qui, excentriques pour l’instant, deviendront centrales à terminaison de l’urbanisation de la ville.

La théorie des « secteurs » trouve son application parfaite à Chandigarh; chaque secteur est occupé par des classes de population différentes, auxquelles sont affectées des superficies de terrain diverses, allant du plus grand au plus petit. Les surfaces les plus réduites sont réservées aux péons (petits employés ou domestiques). Le groupement de ces plus petites superficies se trouve (par une solution démontrée plus loin) réaliser d’excellentes conditions architecturales et urbanistiques pour la réunion de 750 habitants, chaque fois en une sorte de petit village indépendant. La solution est répandue en tous lieux de la ville, aussi bien dans les quartiers riches que dans les quartiers pauvres, proposant des contacts sociaux qui ne peuvent être qu’éducatifs. Un « secteur » dont la dimension est de 800 x 1200 m pourra aussi bien contenir 5000 habitants ou 20.000.

Chaque secteur est entouré sur ses quatre faces d’une V3, voie exclusivement réservée à la circulation mécanique à grande vitesse. Aucune porte n’ouvre sur ces V3 dont la totalité représente près de quarante kilomètres de longueur; car aucune voiture ne doit s’arrêter ailleurs qu’à l’une des stations prévues tous les 400 mètres qui établissent le contact avec l’exploitation intérieure du secteur.

La V4 est la rue marchande (horizontale ici), allant de gauche à droite, et vice-versa, rassemblant tout ce qu’un secteur peut réclamer d’activités artisanales et mercantiles, reconstituant en quelque sorte la « grand-rue » d’autrefois. Cette grand-rue est d’ailleurs profondément enracinée dans les coutumes indiennes. La V4 traverse la ville horizontalement; elle assure une continuité et une contiguïté amicales de secteur à secteur. Les voitures et autobus y roulent au ralenti.

La V5 part de la V4, distribuant les voitures au ralenti à l’intérieur des secteurs en un circuit de schéma clair.

Les V6, toutes petites, sont l’extrémité capillaire du réseau, allant aux portes mêmes des maisons.

Ce réseau V4, V5, V6 est la plus économique disposition, permettant aux voitures au ralenti d’aller en pleins lieux d’habitation, toucher à chacune des portes. Le circuit est bref; il laisse disponibles d’immenses surfaces vertes à l’abri des vitesses mécaniques: « Ville Verte ».

Les V3 et les V2 absorbent le grand trafic. Reste la V7 à destination de la jeunesse et des sports conjugués. C’est une voie qui va du bas de la ville au sommet et qui se déroule au milieu d’une large bande verte d’arbres et de gazon où sont des écoles et les terrains de sport; ces grandes bandes verticales font la liaison des jeunesses, de secteur à secteur, tout comme la V4 fait la liaison de secteur à secteur des éléments commerciaux et artisanaux de la ville.

On observe sur les plans, à gauche de la V2 du Capitole, la vallée dite « Vallée des Loisirs ». II s’agit d’un défoncement régulier creusé par l’érosion; vallée en contrebas de cinq à six mètres du plateau général de la ville. Les eaux sont désormais détournées et ce terrain en contrebas constituera un lieu extraordinairement favorable à tout ce qui concerne les loisirs, reliant ainsi le bas de la ville au haut de la ville et au Capitole. Au long de cette course, la Vallée des Loisirs verra s’installer tous les lieux et locaux nécessaires et utiles aux loisirs, tels que: théâtre spontané, harangues, déclamations, danses, cinéma de plein air, promenade des populations aux heures de la fraîcheur du soir. C’est ici que tous peuvent se retrouver dans ces contacts amicaux et nombreux qu’adorent les Indiens lorsqu’ils créent à l’intérieur de leurs villes les grands promenoirs du soir ou du matin.

Les profils des 7 V ont été étudiés rigoureusement, de façon à apporter toutes utilités, jamais d’entraves à la circulation. Le plan montre les voies réservées aux circulations mécaniques intenses. Elle montre en rouge les voies réservées aux voitures rapides, et en jaune les lieux où les voitures ne se trouvent pas: lieux de promenades au milieu des meilleures dispositions architecturales.

Cette même planche en couleur montre l’un des deux fleuves barré de traces vertes, ce qui signifie qu’un barrage installé en amont doit désormais l’assécher complètement et permettre l’irrigation méthodique de ce lit de pierres où seront installés des jardins maraîchers et des vergers pour alimenter la ville.

Il est à signaler encore que les V3 de Chandigarh ne recevront pour ainsi dire aucune voiture automobile privée mais seulement des autocars et autobus, équipés de diverses manières et aptes à fournir dans une grande économie et une efficacité égale le transport des populations.

L’urbanisme ayant été réglé dans ces formes si nouvelles, le plan de la ville était achevé six semaines après l’arrivée aux Indes des architectes et du Conseiller.

Dès l’été, les bulldozers commençaient leur travail de labourage des routes et des rues dont l’empierrement s’effectuait immédiatement après. Dès cette époque aussi commençaient les études des constructions publiques et des divers types d’habitation. Le problème se présentait dans des conditions favorables. Chandigarh, étant capitale politique, doit héberger ses fonctionnaires, dont 10.000 fonctionnaires font une population de 50.000 habitants environ.

Les 50.000 habitants logés aux trais de l’Etat, occuperont des habitations selon une gamme hiérarchique. C’est ce qui a permis une grande rapidité dans la recherche des solutions et dans les décisions à prendre. II en fut de même, bien entendu, pour les édifices d’État du Capitole dont Le Corbusier a la responsabilité. Ici commençait une grande aventure architecturale avec des moyens d’une pauvreté extrême, une main-d’œuvre non habituée à la technique moderne, un climat qui est à lui seul un adversaire détaille, avec une population indienne dont il s’agit de satisfaire les idées et les besoins plutôt que de lui imposer une éthique et une esthétique occidentales. Le problème se trouve aussi nourri d’autres données: le soleil est le facteur impératif ou impérial, dans ce pays. C’est avec lui que doit composer une nouvelle société indienne dans son économie moderne; car le soleil est si violent que, jusqu’ici, les habitudes de repos, de sieste et d’indolence étaient presque obligatoires dans des conditions d’architecture locales qui ne permettaient pas d’exécuter un travail quelconque à certaines saisons et à certaines heures. La saison des pluies pose également une série de problèmes très difficiles à résoudre. Dans l’imbroglio général des renseignements rassemblés par Le Corbusier, celui-ci ne pouvait espérer s’y retrouver qu’à condition de créer, ici encore, une « Grille Climatique », applicable aux climats extrêmes et permettant de poser le problème pour chacun des cas envisagés. La « Grille Climatique » a été créée à l’Atelier 35, rue de Sèvres avec la collaboration bienveillante de M. Missenard. Grâce à cette grille, pour la première fois, il est possible d’étaler sur la table à dessin la complexité des conditions réelles imposées par un climat difficile, impératif, et constamment changeant au coups des douze mois de l’année.

Pour les édifices, Le Corbusier, à terminaison de son premier séjour, eut à Bombay, dans son hôtel, la révélation de la route à parcourir; son album à dessins en contient les éléments. Soleil et pluie sont les deux facteurs d’une architecture qui doit être aussi bien parasol que parapluie. Les toitures doivent être traitées en hydraulicien et le problème de l’ombre considéré comme le problème n° 1. Le brise-soleil prenait donc ici toute sa valeur de rejet des styles classiques. II s’étendait non pas seulement à la fenêtre mais à la façade entière et à la structure même du bâtiment. Contrairement à la généralité des problèmes contemporains, la ville de Chandigarh apportait une liberté qui était en elle-même une dangereuse difficulté.

Les espaces consacrés au Capitole sont vastes, les édifices occupant un pourcentage très faible du terrain. Comment doter de cohésion optique un ensemble si dispersé ? Ce fut là une tâche délicate.

Le dessin définitif du Capitole est fourni par le plan 4445 avec la forme, les plans et l’implantation exacte des bâtiments, y compris leurs organes de circulation mécanique rapide et de promenades pédestres dans les conditions les meilleures. On n’a pas eu souvent, dans le siècle écoulé, l’occasion de risquer un pareil tracé ou, si cette occasion s’est présentée, on a parfaitement oublié de s’en saisir. Ici, à Chandigarh, Le Corbusier s’est bien rendu compte de l’immense responsabilité qu’il endossait tant du point de vue technique que du point de vue architectural. Des responsabilités esthétiques et éthiques également dominent tout ce travail. Ethique de la loyauté, de l’honnêteté, de l’habileté dans l’emploi des moyens et dans les rapports qui servent à les mettre en œuvre. Aucune idée folklorique ou d’histoire de l’art ne peut intervenir dans pareille entreprise où les bâtiments sont construits en gros béton brut, relié parfois à de minces membranes de ciment armé (gunnite-canon-à-ciment). Ici, tout est problème de résistance, de structure, de contreventement. L’esthétique qui en surgira sera une esthétique neuve.

En dix-huit mois, l’atelier de la rue des Sèvres avait mis au point les plans du Capitole, et deux des bâtiments ont leurs dessins d’exécution déjà terminés: la Haute Cour, dont le gros oeuvre sera achevé en quelque mois avant la moisson de 1953, et le Palais des Ministères. Les avant-projets du Palais des Assemblées (Parlement) ainsi que ceux du Palais du Gouverneur sont acceptés par l’autorité.<.

Il reste à dire un mot de la « Main Ouverte », monument de Chandigarh, lequel se trouve placé dans des conditions urbanistiques excellentes, porteuses d’émotion. Le dessin du 12 avril 1952 (c’est-à-dire environ treize mois après l’arrivée de Le Corbusier aux Indes) montre déjà la mise au point définitive de la « Main Ouverte » et des palais du Capitole (Parlement à droite, Haute Cour à gauche et la Main Ouverte au centre).

Une mention spéciale doit être faite du Modulor qui a permis de régler harmonieusement et dans une sécurité extraordinaire tous les dimensionnements intervenus au cours de ces deux années de travail. Le Modulor a vraiment montré à cette occasion la richesse infinie qui est sa raison d’être, ainsi que l’exactitude et la.

Pierre Jeanneret déclarait en décembre 1952 : « C’est grâce au « Modulor » que nous pouvons entreprendre dans l’ordre et réaliser avec succès la masse des plans utiles et accorder ainsi aussi bien nos dessinateurs que nos travaux. »

Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 7, 1957-1965

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