Maison Citrohan
Sans lieu, 1922
© FLC/ADAGP
Extrait de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre complète, volume 1, 1910-1929
« Au Salon d’Automne de 1922, on a exposé une grande maquette de plâtre de cette maison étudiée plus à fond et qui comporte, avant tout, la standardisation systématique des éléments de construction: ossature, fenêtres, escaliers, etc. Les pilotis apparaissent pour la première fois: A quoi bon enfoncer une maison dans la terre, si l’on peut, au contraire, l’élever au-dessus de terre et regagner ainsi complètement le terrain même de la maison ?
Cette maquette de plâtre du Salon d’Automne de 1922 représente une manifestation esthétique architecturale significative. Des problèmes très précis y trouvaient des solutions révolutionnaires: le toit jardin, la suppression de la corniche, la fenêtre en longueur, la maison en l’air. Et tout particulièrement, opposé aux recherchés régionalistes ou à l’artistisme de 1900, ce sentiment catégorique de pureté, de franchise, d’aveu total, de loyauté. Et cette nouveauté apportée par le béton armé d’une enveloppe générale absolument pure révélant à elle seule, l’éloquence décisive du volume architectural. Au cours des années, cette maison s’étudie pour l’Ile-de-France ou pour la Côte d’Azur: elle finira par être construite pour la première fois à Stuttgart dans la Colonie de Weissenhof.
Stuttgart; c’est l’occasion enfin ! On présente là un type: un type de structure, un type de disposition intérieure,une proposition de réforme du mobilier, une plastique catégorique du ciment armé, une esthétique franche. A cette manifestation s’attache une attitude morale. Aussi les protestations furent-elles innombrables et violentes. Maison en série « Citrohan » (pour ne pas dire Citroën). Autrement dit, une maison comme mie auto, conçue et agencée comme un omnibus ou une cabine de navire. Les nécessités actuelles de l’habitation peuvent être précisées et exigent une solution. Il faut agir contre l’ancienne maison qui mésusait de l’espace. Il faut (nécessité actuelle: prix de revient) considérer la maison comme une machine à habiter ou comme un outil. Lorsqu’on crée une industrie, on achète l’outillage; lorsqu’on se met en ménage, on loue actuellement des appartements imbéciles. Jusqu’ici on faisait d’une maison un groupement peu cohérent de nombreuses grandes salles; dans les salles il y avait toujours de la place en trop et toujours de la place en pas assez.
Aujourd’hui, heureusement, on n’a plus assez d’argent pour perpétuer ces usages et comme on ne veut pas considérer le problème sous son vrai jour (machine à habiter) on ne peut pas construire dans les villes et une crise désastreuse s’en suit; avec les budgets, on pourrait construire des immeubles admirablement agencés, à condition, bien entendu, que le locataire modifie sa mentalité; du reste, il obéira bien sous la poussée de la nécessité. Les fenêtres, les portes doivent avoir leurs dimensions rectifiées; les wagons, les limousines, nous ont prouvé que l’homme passe par des ouvertures restreintes et que l’on peut calculer la place au centimètre carré; il est criminel de construire des W.-C. de quatre mètres carrés. Le prix du bâtiment ayant quadruplé, il faut réduire de moitié les anciennes prétentions architecturales et de moitié au moins le cube des maisons; c’est désormais un problème de technicien; on fait appel aux découvertes de l’industrie; on modifie totalement son état d’esprit. La beauté? Il y en a toujours lorsqu’il en existe l’intention et les moyens qui sont la proportion; la proportion ne coûte rien au propriétaire, mais seulement à l’architecte. Le cœur ne sera touché que si la raison est satisfaite et celle-ci peut l’être quand les choses sont calculées. Il ne faut pas avoir honte d’habiter une maison sans comble pointu, de posséder des murs lisses comme des feuilles de tôle, des fenêtres semblables aux châssis des usines. Mais ce dont on peut être fier, c’est d’avoir une maison pratique comme sa machine à écrire. »