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Maisons rurales

Chessy, France, 1956

  • Maisons rurales, Chessy
    © FLC/ADAGP
Maisons rurales, Chessy
© FLC/ADAGP

Présentés parfois comme deux entités, ces deux projets appartiennent finalement à un projet commun. Il s’agit à l’origine d’une commande de l’Office HLM Orly-Parc qui envisage la construction de 68 logements (la version la plus ambitieuse en comptera 86) sur le parc de la colline St-Denis à Lagny. Dans une de ces nombreuses notes adressées à Le Corbusier, André Wogenscky nous éclaire en indiquant qu’à la demande de l’office HLM, un ensemble de dix maisons de même type est souhaité pour être implanté sur un terrain proche de Chessy, ville distante de quelques kilomètres de celle de Lagny.

Le Corbusier et son agence réfléchissent à un projet de nouvelles maisons rurales, sans renier pour autant l’héritage de la « ferme radieuse » et du « logis paysan » conçus dans les années trente, avec l’aide de Norbert Bézard. Une fois encore les possibilités industrielles de concevoir et d’imposer un projet de logements en série séduisent Le Corbusier.

 

Dans un rapport de Wogenscky daté de janvier 1956, on apprend que le projet de Chessy (une dizaine de maisons-prototypes) doit-être mis au « modulor et remanié pour être adapté aux conditions économiques et législatives actuelles ». Ces maisons, conceptuelles, sont de type 4 pièces (salle de repos, chambre des parents plus deux chambres d’enfants, une cuisine et un équipement sanitaire). Elles doivent être construites entièrement sur un soubassement en maçonnerie, en éléments entièrement fabriqués en usines, d’après des études de Jean Prouvé qui collabore également à ce projet. La volonté est de rivaliser avec les tarifs habituels de la société HLM et même de proposer un prix inférieur. Dans une note rédigée à l’attention de Ducret, Wogenscky et Maisonnier, Le Corbusier rappelle qu’il a déposé quelques années plus tôt, un brevet d’ « habitation alvéolaire » dont le principe est de construire une ossature entièrement « en tôle de fer selon un profile unique et standard ». Envisageant un partenariat avec Jean Prouvé et son menuisier Charles Barberis, Le Corbusier pense tenir l’harmonie bois-métal qui lui permettrait de réaliser les maisons idéales pour enrayer l’abandon de la campagne française.

Parallèlement cette fantaisie, le projet de Lagny se poursuit.  Sur une base de départ de « Maison Loucheur », les maisons familiales de Lagny bénéficient des réflexions élaborées pour les maisons rurales de Chessy. Elles sont également le fruit de la collaboration entre Le Corbusier, Wogenscky, Barberis et Prouvé. Dans un courrier adressé à Charles Barberis, Le Corbusier mentionne qu’il s’agit de bâtir des maisons en aluminium. Il s’agit de maison double. Selon les propositions le toit est plat ou à double pente ce qui nous rappelle les maisons montées à sec développées au début des années quarante. L’ossature est prévue en fer, l’enveloppe en tôle d’aluminium isolée et doublée par le bois (panneau de 1m22 par 2m50 de haut). Le bloc sanitaire en métal est positionné au centre. Quant au mobilier de séparation il est prévu en bois. La cuisine est sensée être un dérivé de celle conçue pour l’unité d’habitation de Marseille.

Malheureusement, comme très souvent, ce projet ne passe pas l’épreuve du devis. Jugé trop onéreux (les prix par logements sont quasiment trois fois supérieurs à ceux exigés) le projet est abandonné en mai 1957. Les frais d’études eux même ne seront pas réglés par l’Office HLM Orly-Parc qui renverra, sans vergogne, les architectes devant le ministère de la Reconstruction pour espérer un examen de leur sort plus favorable.

 

 Il faut enfin souligner la fidélité affective et la probité de Le Corbusier, accusé parfois à tort de ne pas l’être. En effet, dans une note du 21 décembre 1955, Le Corbusier demande à Wogenscky de prévoir une part de « royalties » pour Norbert Bézard si le projet venait à prendre de l’ampleur. Malgré les vingt-cinq ans qui se sont écoulées, Le Corbusier n’a pas oublié que ce vieux complice (qui l’a aidé à formuler et concevoir le « logis paysan ») n’a jamais travaillé pour l’atelier. Une part du succès lui serait donc revenue si les « maisons LC56 » de Lagny et Chessy avaient vu le jour.

Ces maisons rentrent dans les initiatives favorisées par la loi. Elles seront construites en fers profilés tôle d’aluminium pliée et agencements de menuiserie intérieure industrialisée. Un mur de maçonnerie sert d’adossement chaque fois à deux maisons jumelées. Le problème posé est d’une banalité totale. Par contre, la réalisation a permis de reprendre les plans des « Maisons Loucheur » restés sans suite en 1929. Les choses s’étaient passées ainsi : Le Ministre Loucheur avait déclaré à Le Corbusier: « Vos plans sont parfaits; vous construirez des milliers de ces maisons. » Le Corbusier avait répondu: « Je n’en construirai pas une. » Et c’était vrai, hélas! car la tournure d’esprit de considérer la maison comme une « machine à habiter » avait provoqué des réactions violentes, très particulièrement aux Etats-Unis.

De plus, l’industrie n’était pas prête, elle n’était même pas alertée. Le Pavillon de l’Esprit-Nouveau à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925 affichait une grande pancarte : « L’industrie doit s’emparer du bâtiment », ce qui, hélas, ne fut pas le cas pendant longtemps. Il a fallu attendre trente années pour que petit à petit, et puissamment maintenant, les techniciens de la physique, de la chimie, de la mécanique, les chefs d’affaires et de l’économie générale du pays considèrent enfin que le bâtiment (le logis) est un des plus grands besoins humains et par conséquent, l’un des objets de fabrication représentant une production de masse gigantesque.

Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 6, 1952-1957

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