Villa Savoye et loge du jardinier
Poissy, France, 1928-1931
La commande
Véritable manifeste, la villa Savoye est la dernière des maisons puristes, et demeure celle qui illustre le mieux les « cinq points d’une architecture moderne ».
Sous le charme de la maison construite par Le Corbusier pour la famille Church à Ville-d’Avray, Pierre et Eugénie Savoye passent commande d’une demeure de villégiature contemporaine pour leur vaste terrain de sept hectares, situé sur la colline de Beau Regard, le long de la Seine à Poissy. Dépourvu d’« idées préconçues » et disposant d’un budget conséquent, le couple Savoye offre à l’architecte l’occasion de mettre en œuvre un grand nombre de ses théories architecturales des années 1920.
Le projet
Le système constructif poteaux-dalle Dom-Ino, l’autorise à s’affranchir des murs porteurs de l’architecture traditionnelle, il libère ainsi plan et façades pour y déployer ses fenêtres en bandeaux.
Comme à la Maison La Roche, les pilotis libèrent l’espace au sol, permettant une mise en apesanteur du bâtiment.
Cette surélévation permet la courbure du rez-de-chaussée qui favorise la circulation de l’automobile des Savoye : « l’auto s’engage sous les pilotis, tourne autour des services communs, arrive au milieu, à la porte du vestibule, entre dans le garage ou poursuit sa route pour le retour : telle est la donnée fondamentale ».
Après trois propositions infructueuses, Le Corbusier retravaille son projet initial. La terrasse se réduit désormais à un solarium qui vient surplomber cette délicate boîte blanche. À partir de novembre 1928, la « boîte en l’air » possède, sur les calques de l’atelier du 35 rue de Sèvres, sa forme définitive.
Le projet final donne satisfaction à l’architecte qui confie, le 29 avril 1929 à sa mère : « la maison de Poissy devient un petit miracle. C’est une création ». La construction se poursuit jusqu’à la livraison de la maison durant l’été 1931.
Pour les intérieurs, Le Corbusier pense la cuisine de façon analogue au salon, c’est-à-dire « des pièces où l’on vit ».
Comme pour ses autres réalisations des années 1920, l’architecte a recours à la polychromie architecturale.
Comme dans d’autres programmes, l’architecte conçoit cette villa comme une promenade architecturale dont il organise la circulation pour multiplier, au rythme des déambulations, les points de vue, les cadrages, qui donnent à voir tant l’intérieur que l’extérieur. Cette double circulation est permise par une rampe positionnée au cœur de l’édifice et un escalier.
Baignée de lumière, la villa s’intègre parfaitement à son parc boisé, qui comprend un verger et un potager. Si les Savoye ne font pas de Poissy leur résidence principale, ils prévoient une maison pour leur jardiner à demeure, construite à l’entrée du terrain.
La loge du jardinier est l’archétype du logement minimum que Le Corbusier et Pierre Jeanneret proposent au deuxième congrès des CIAM de Francfort en 1929. Elle présente les mêmes principes formels que la Villa Savoye, illustrant ainsi cette volonté d’une architecture à la fois universelle et sans distinction sociale.
Le devenir de la Villa
En 1940, la villa est réquisitionnée par les allemands et les Savoye ne l’habiteront plus. Après-guerre, la reconstruction et l’urbanisation menacent son existence. La municipalité veut implanter un lycée sur son terrain.
En 1958, les Savoye sont expropriés et la démolition imminente. Elle fait alors office de maison de jeunes. Le Corbusier, qui souhaite y installer un musée dédié à son œuvre, en est blessé. La communauté architecturale internationale, dont Sigfried Giedion, Mies van der Rohe ou encore Paul Nelson, plaide sa cause. Le Corbusier en appelle directement à André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles.
Ami de Le Corbusier et défenseur de son architecture, André Malraux s’implique personnellement pour protéger « Les Heures claires ». En 1962, l’État rachète la villa mais le lycée « Le Corbusier » réduit la propriété d’une part importante de son terrain qui passe de 7 à 1 hectare.
Le 12 décembre 1965, quatre mois après la mort de Le Corbusier, la villa est classée Monument historique.
À partir de 1967 commencent les travaux de restauration de la Villa et de la loge, sous le contrôle de l’architecte Jean Dubuisson. Ces travaux prévoient notamment la réfection des revêtements des façades et le remplacement de tous les châssis en bois des fenêtres par des par éléments en aluminium peints. Les travaux vont poursuivre les années suivantes, sur les étanchéités des terrasses, les revêtements des façades et les polychromies intérieures… Le dernier chantier de restauration, réalisé en 2015, a porté sur la loge du jardinier et la restitution de son état d’origine de 1929, comprenant notamment des façades polychromes.
La Villa Savoye et la loge du jardinier font partie des 17 biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en 2016.